Commentaire de moustarchide1993 (28/07/2014 18:26) :
Mame Cheikh Ahmet Tidiane Sy
L’éminent critique littéraire, Yahya Haqqi (1905-1992), alors directeur des
Editions Dâr Maktabat al-Hayat de Beyrouth, pouvait-il imaginer toute la
portée de son initiative lorsqu’il demandait à Serigne Cheikh Ahmed Tidiane
Sy, l’autorisation de publier un recueil de ses différentes interventions
sur l’islam, la pensée islamique en Afrique et la situation des Musulmans
en Afrique de l’Ouest ? Il devait être assez visionnaire pour comprendre
que de ces petites notes guidant les démonstrations d’un orateur hors pair,
jaillira une pensée éclairante pour les générations futures !
I- L’audace de la critique sociale ou le souci d’une conscience musulmane
En véritable précurseur, Serigne Cheikh a traité dans cet ouvrage non
réédité de différents thèmes résumant sa conception d’une religion
musulmane au cœur des préoccupations humaines avec toujours cette vocation
universelle. Dès le début de l’ouvrage le grand penseur s’attèle à
démontrer la manière dont l’Islam est naturellement une religion favorable
à l’évolution de l’humanité car s’appuyant sur la justice comme fondement
de la vie en société. Pour lui, le salut du genre humain et surtout du
Musulman passe forcément par la foi et l’action, en revisitant constamment,
la notion de volonté humaine « himmatul insân » rappelant ce pacte tacite
entre Dieu et l’Homme qui devrait en être le vicaire sur terre
(khalîfatu-l-lâhi fi-l-ardi).
Comme à l’accoutumée, Serigne Cheikh ne se limitera jamais à l’évocation et
à la citation des auteurs et penseurs, mais il se plaît bien de les
soumettre au questionnement prenant ainsi le risque de se mettre à dos
nombre d’intellectuels qui, à l’époque, avaient un grand mal à se départir,
pour certains, des chaînes de la rationalité et des conformismes érigés en
doctrine, pour nombre d’entre eux. Dans son style et sa pensée, il leur
opposait la force de la himma dont Seydina Cheikh Ahmad Tijânî disait
qu’elle peut toujours avoir le dessus sur toutes les créatures « qâhiratun
‘alâ Jamî’il akwâni ». Al-Maktoum avait compris, comme le prédisait Seydinâ
Cheikh, que la destinée du monde musulman ne pouvait être la meilleure
possible si l’on se contentait d’un mimétisme irréfléchi des us et coutumes
se sédimentant tout en subissant l’œuvre du temps. C’est pour cela, bien
qu’incompris à l’instar de tous les visionnaires, il avait très tôt appelé
à une conception élargie du religieux qui risquait le décalage ayant
atteint les autres doctrines s’il se départait du discernement (tadbîr).
Pour comprendre cet état d’esprit, il faudrait faire le lien entre cette
critique et la manière dont il décrit la méthode du dépositaire de la
Tijâniyya dans « Fa ilayka » : cette prouesse de jumeler le monde d’ici-bas
avec les exigences de l’autre (wa ja’alata dunyal ‘âlamîna shaqîqatan/ lil
jannatil ‘Ulyâ bikulli ma’ânî). C’est pourquoi, sa critique sociale n’a
même pas épargné certaines conceptions religieuses dès lors qu’elles
allaient à l’encontre du principe de la « himma , yitté en Wolof».
II- Entre harmonie et équilibre : l’éternelle quête du juste milieu
Fidèle au principe de l’inséparabilité entre philosophie et action, il
précise que « l’application est l’âme de la connaissance ». Sa conception
de l’évolution pourrait, ainsi, se résumer par cet équilibre qu’il établit
entre fidélité au message mohammedien et l’audace de projeter au plus loin
le discernement afin d’inscrire les pseudo-particularités dans la globalité
de l’islam. De toute manière, Serigne Cheikh a toujours perçu ce dernier
comme un « dosage » entre foi, courage et responsabilité, matière et
esprit, corps et intellect, philosophie et action (Wattakhizû bayna zâlika
Sabîlan !) pour conclure qu’« il n’y a point d’excellence, de distinction,
de mérite que dans l’équilibre et le juste milieu ».
Cette réflexion sur l’équilibre nécessaire à l’harmonie déteint sur
l’ensemble de sa pensée, mais sera traitée avec rigueur dans l’un des
chapitres de l’ouvrage intitulé « Entre l’esprit et la matière ». Le
questionnement qu’il introduit, empruntant le vocabulaire géopolitique de
l’époque, et qui inspirera les développements ultérieurs est celui-ci : «
Peut-il y avoir une coexistence pacifique entre esprit et matière ? N’y
a-t-il pas une guerre secrète ou apparente entre ces deux contraires ? »
Ces questionnements importants pour un monde musulman, alors, en recherche
de modèle, en conflit avec lui-même comme avec le monde occidental avaient
une portée inestimable à l’époque où il était question de trancher entre
les attitudes de repli et d’ouverture.
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